
Le cheongsam, ou qipao en mandarin, est bien plus qu’une simple robe ; c’est une icône culturelle, un symbole d’élégance intemporelle et un témoignage vivant de l’évolution de la mode chinoise au cours du XXe siècle. De ses humbles origines en tant que vêtement mandchou à sa transformation en la silhouette glamour et ajustée que nous connaissons aujourd’hui, le qipao a traversé des périodes de profonds changements sociaux, politiques et esthétiques. Son histoire est un miroir des aspirations et des identités changeantes des femmes chinoises, capturant l’essence de la tradition tout en embrassant la modernité. Cette exploration détaillée retracera le parcours fascinant du qipao, mettant en lumière ses métamorphoses et son impact durable sur la mode et la culture mondiale.
1. Des Racines Mandchoues aux Premières Adaptations
Les origines du qipao remontent à la dynastie Qing (1644-1912), période durant laquelle la Chine était dirigée par les Mandchous. Le terme "qipao" signifie littéralement "robe de la bannière", en référence aux huit bannières, le système administratif et militaire mandchou. Le vêtement original était un long manteau droit, ample et fonctionnel, conçu pour les hommes et les femmes mandchous afin de faciliter l’équitation et les activités quotidiennes. Connu sous le nom de changpao (robe longue), il était caractérisé par son col haut, ses manches larges et son absence de taille définie, descendant généralement jusqu’aux chevilles. Il n’était pas ajusté et était souvent porté par-dessus d’autres vêtements.
C’est au début du XXe siècle, avec la chute de la dynastie Qing en 1911 et l’avènement de la République de Chine, que le changpao commença sa véritable métamorphose. Les intellectuels et les réformateurs cherchaient à moderniser la Chine et sa culture, et la mode fut un domaine clé de cette transformation. Les femmes, en particulier dans les villes cosmopolites comme Shanghai, commencèrent à adapter le changpao traditionnel pour le rendre plus pratique et conforme aux nouvelles sensibilités esthétiques influencées par l’Occident. Les premières adaptations restaient relativement amples mais présentaient des cols légèrement plus bas et des manches moins volumineuses.
Voici un tableau comparatif des caractéristiques entre le changpao mandchou original et les premières adaptations du qipao au début du XXe siècle :
Caractéristique | Changpao Mandchou Original | Premières Adaptations du Qipao (début XXe) |
---|---|---|
Coupe | Très ample, droite, non ajustée | Plus étroite, légèrement moins ample, prémices de la silhouette |
Col | Haut, rigide, fermé | Généralement haut, mais parfois plus souple ou légèrement abaissé |
Manches | Larges, souvent longues | Plus fines, souvent à ¾ ou courtes, moins volumineuses |
Fentes | Souvent aucune ou très courtes latérales | Commencent à apparaître, courtes, principalement pour la marche |
Tissu | Principalement coton, laine, soie basique | Soie, coton, parfois des motifs plus élaborés |
Fonction | Vêtement quotidien, pratique pour l’équitation | Symbole de modernité et d’émancipation féminine, élégance sobre |
2. L’Émergence du Qipao Moderne et l’Influence Occidentale
Les années 1920 et 1930 furent une période cruciale pour l’évolution du qipao. Shanghai, alors le "Paris de l’Orient", devint le creuset de l’innovation stylistique. Les femmes chinoises, inspirées par la mode occidentale (notamment les robes de soirée et les jupes crayon), commencèrent à adopter des coupes plus ajustées et des silhouettes qui mettaient en valeur la forme du corps. Le qipao s’est progressivement débarrassé de son ampleur pour embrasser des lignes plus définies et féminines.
Les étudiants, les intellectuels et les femmes des milieux aisés jouèrent un rôle essentiel dans cette transition. Elles cherchaient à s’émanciper des traditions vestimentaires rigides et à affirmer leur individualité. Le qipao devint alors un symbole de la femme chinoise moderne, éduquée et cosmopolite. Les caractéristiques distinctives du qipao moderne commencèrent à prendre forme : un col mandarin distinctif, une coupe ajustée qui soulignait la taille et les hanches, des fentes latérales audacieuses permettant une plus grande liberté de mouvement, et une variété de longueurs de manches, allant des manches courtes aux manches longues, en passant par les manches cloches ou évasées. Les tissus luxueux tels que la soie, le brocart, le satin et le velours devinrent monnaie courante, souvent ornés de broderies délicates ou de motifs imprimés sophistiqués.
3. L’Âge d’Or : Les Années 1930 et 1940
Les années 1930 et le début des années 1940 sont considérées comme l’âge d’or du qipao. Durant cette période, la robe atteignit son apogée en termes de raffinement et de popularité. Le qipao était omniprésent dans les rues de Shanghai, porté par les femmes de toutes les classes sociales, des stars de cinéma aux femmes au foyer. Les designers et tailleurs de Shanghai excellaient dans l’art de confectionner des qipaos sur mesure, s’adaptant parfaitement à la morphologie de chaque femme.
Les styles devenaient de plus en plus variés et audacieux. Les cols, bien que toujours hauts, pouvaient varier en hauteur et en forme. Les fentes latérales, initialement pratiques, devinrent un élément de séduction, s’allongeant parfois jusqu’à la cuisse. La coupe ajustée, qui suivait les courbes naturelles du corps, fut perfectionnée, souvent rehaussée par des épaulettes discrètes ou des pinces stratégiques. Les motifs des tissus reflétaient les tendances de l’époque, allant des imprimés géométriques Art Déco aux motifs floraux traditionnels. Le qipao n’était plus seulement un vêtement, mais une véritable déclaration de mode et d’élégance.
Voici un tableau résumant les styles et caractéristiques du qipao pendant son âge d’or :
Caractéristique | Styles Populaires (1930s-1940s) |
---|---|
Coupe | Très ajustée, soulignant les courbes, taille marquée |
Col | Col mandarin haut (2-4 cm), parfois légèrement évasé ou droit |
Manches | Courtes, cap, ¾, longues, souvent ajustées ou légèrement évasées |
Fentes | Latérales, de mi-cuisse à genou, ajoutant fluidité et élégance |
Fermeture | Boutons grenouille (noeuds chinois), souvent asymétriques le long du col et sur le côté |
Tissus | Soie, satin, velours, brocart, crêpe de Chine, souvent avec des motifs élaborés (floraux, géométriques) |
Ornements | Passepoil contrasté, broderies fines, perles, bijoux |
Longueur | Majoritairement longue (mi-mollet à cheville), parfois plus courte pour les événements informels |
4. Transformation et Adaptation Post-1949
La fondation de la République Populaire de Chine en 1949 marqua un tournant pour le qipao. Sur le continent, le vêtement fut progressivement délaissé, voire banni, car il était associé à l’élitisme bourgeois et à l’ancien régime. Pendant la Révolution Culturelle, le port du qipao pouvait même entraîner des persécutions. Les femmes adoptèrent des tenues plus uniformes et pratiques, comme les costumes Mao, reflétant les idéaux d’égalité et de travail.
Cependant, à Hong Kong et Taiwan, le qipao continua d’évoluer et de prospérer. Hong Kong, en particulier, devint le nouveau centre de la mode du qipao. La robe fut adaptée pour s’intégrer au mode de vie moderne : elle devint plus simple, plus pratique, avec moins d’ornements et souvent confectionnée dans des tissus moins coûteux comme le coton ou les mélanges synthétiques. La coupe restait ajustée, mais l’emphase était mise sur le confort et la fonctionnalité. Le qipao est devenu un vêtement de bureau, de cérémonie ou de tous les jours pour de nombreuses femmes.
Caractéristique | Qipao en Chine Continentale (post-1949) | Qipao à Hong Kong/Taiwan (post-1949) |
---|---|---|
Statut | Perte de popularité, associé au passé bourgeois, quasi-disparition | Vêtement courant, symbole d’élégance, adapté au quotidien |
Coupe | Non pertinent (rarement porté) | Plus simple, souvent légèrement moins rigide, axé sur le confort |
Tissus | N/A | Coton, lin, synthétiques, soie pour les occasions spéciales |
Usage | N/A | Quotidien, travail, cérémonies, uniformes |
Evolution | Stagnation, puis réémergence tardive comme vêtement de cérémonie | Simplification, modernisation, incorporation de motifs occidentaux |
Symbolisme | Représentant d’un passé à rejeter | Symbole de la femme chinoise moderne et de l’identité culturelle |
5. Le Qipao Contemporain et la Reconnaissance Mondiale
Depuis les années 1980, avec l’ouverture de la Chine, le qipao a connu une résurgence significative sur le continent. Il est redevenu un symbole de l’élégance chinoise, porté lors de cérémonies officielles, de mariages, de galas et d’événements culturels. Il incarne désormais la fierté nationale et l’héritage culturel.
Dans le monde entier, le qipao a gagné en reconnaissance grâce au cinéma (comme dans "In the Mood for Love" de Wong Kar-wai), aux défilés de mode internationaux et aux célébrités qui l’adoptent sur les tapis rouges. Les designers contemporains continuent de réinterpréter le qipao, fusionnant les éléments traditionnels avec des tendances modernes. On trouve des qipaos de toutes les longueurs, des mini-robes aux robes longues, dans une grande variété de tissus (jean, cuir, dentelle, organza) et avec des embellissements variés (imprimés numériques, broderies contemporaines, coupes asymétriques). Cette adaptabilité témoigne de la polyvalence et de l’attrait intemporel du qipao.
Le qipao contemporain n’est plus seulement une tenue traditionnelle ; il est devenu une source d’inspiration pour la haute couture et un vêtement élégant pour toute femme, quelle que soit son origine. Des marques et des plateformes dédiées continuent de promouvoir et d’étudier l’histoire et l’évolution de cette robe emblématique. Pour ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur l’histoire, la conception et l’impact culturel du qipao, des ressources précieuses sont disponibles, notamment sur des sites spécialisés comme Cheongsamology.com, qui documentent de manière exhaustive l’art et la science de cette robe emblématique.
Le parcours du cheongsam/qipao, de ses débuts fonctionnels à son statut d’icône mondiale de la mode, est une saga remarquable de transformation et de résilience. Il a su s’adapter aux époques, reflétant les changements sociaux et culturels tout en conservant son essence unique. De ses lignes amples mandchoues à sa silhouette ajustée et glamour de l’âge d’or, puis à ses réinterprétations modernes, le qipao a prouvé sa capacité à transcender le temps et les frontières. Aujourd’hui, il demeure un puissant symbole de la féminité, de l’élégance et de la richesse de l’héritage chinois, continuant d’inspirer designers et passionnés de mode à travers le monde.