
Le cheongsam, ou qipao, est bien plus qu’une simple robe ; c’est un emblème intemporel de la mode chinoise, incarnant l’élégance, la tradition et la modernité. Sa silhouette distinctive, souvent ajustée et rehaussée d’un col montant et de fentes latérales, a traversé les époques, les frontières et les révolutions culturelles, évoluant d’un vêtement fonctionnel mandchou à une icône de style mondial. L’histoire du cheongsam est un miroir des transformations sociales et politiques de la Chine, reflétant l’influence des dynasties impériales, l’essor de la modernité shanghaienne, les migrations post-révolutionnaires et la redécouverte de l’identité culturelle. Plongeons dans le parcours fascinant de cette tenue emblématique, depuis ses humbles origines jusqu’à sa place prééminente dans la mode contemporaine.
1. Des Origines Mandchoues : Le Changpao et le Qipao Impérial
L’histoire du cheongsam commence non pas comme une robe ajustée, mais comme un vêtement ample et pratique porté par le peuple mandchou, les fondateurs de la dynastie Qing (1644-1912). Le terme "qipao" (旗袍) se traduit littéralement par "robe bannière", faisant référence aux Huit Bannières, le système administratif et militaire sous lequel les Mandchous et certains Han furent organisés. Initialement, le changpao (长袍), ou robe longue, était un vêtement unisexe porté par les Mandchous, conçu pour la vie nomade et l’équitation. Il était large, avec des manches longues et amples, et une fente sur le côté ou les deux côtés pour faciliter les mouvements à cheval. Le col était généralement bas ou inexistant, et la silhouette était droite et peu contraignante.
Avec l’établissement de la dynastie Qing, le port du changpao devint une marque distinctive de l’identité mandchoue et fut progressivement adopté par la cour impériale et l’élite. Pour les femmes mandchoues, le changpao était souvent porté par-dessus un pantalon, et sa coupe restait lâche, sans emphasis sur les courbes du corps. Les broderies élaborées, les motifs symboliques et les tissus luxueux, tels que la soie, devinrent des indicateurs de statut social. C’est de cette forme primordiale que le cheongsam moderne allait tirer son inspiration lointaine, notamment pour le col et la coupe longue.
Le tableau ci-dessous compare les caractéristiques fondamentales du qipao mandchou original avec celles du cheongsam shanghaien des années 1930, illustrant l’ampleur de la transformation :
Caractéristiques | Qipao Mandchou (XIXe siècle) | Cheongsam de Shanghai (Années 1930) |
---|---|---|
Silhouette | Ample, droite, cache les formes | Ajustée, accentue les courbes, cintrée |
Col | Bas, souvent inexistant ou simple | Montant, boutonné (col mandarin) |
Manches | Longues, très amples | Courtes, mi-longues, ou sans manches |
Fentes | Latérales, profondes (pour l’équitation) | Latérales, variables, élégantes |
Tissus | Soie, coton épais, broderies | Soie, satin, brocart, velours, lin |
Fonction | Vêtement quotidien, fonctionnel, identitaire | Robe de soirée, élégante, moderne |
2. L’Émergence du Cheongsam Moderne à Shanghai
La véritable naissance du cheongsam tel que nous le connaissons aujourd’hui se situe dans la vibrante et cosmopolite ville de Shanghai dans les années 1920 et 1930. À cette époque, Shanghai était un foyer d’échanges culturels, où les influences occidentales et chinoises se rencontraient et se fusionnaient. La "nouvelle femme" chinoise, émancipée et éduquée, recherchait une mode qui reflète sa modernité et son indépendance. Le changpao traditionnel, jugé trop lâche et conservateur, fut repensé par les couturiers shanghaiens, souvent inspirés par la coupe occidentale.
Ce fut une transformation radicale. Les lignes amples furent abandonnées au profit d’une coupe ajustée qui épousait les formes féminines. Le col mandarin, hérité du vêtement impérial, fut conservé et devint une caractéristique emblématique. Les manches furent raccourcies, voire supprimées, et les fentes latérales, autrefois pratiques pour l’équitation, se transformèrent en un détail élégant, offrant une liberté de mouvement et une touche de sensualité. Les tissus traditionnels furent complétés par des matériaux importés comme la dentelle, le velours et les soies imprimées de motifs art déco.
Le cheongsam de Shanghai devint rapidement le symbole de l’élégance et de la sophistication. Il était porté par les socialites, les actrices de cinéma comme Ruan Lingyu et Hu Die, les chanteuses et les femmes des milieux intellectuels et politiques. Chaque détail – la hauteur du col, la profondeur des fentes, le choix du tissu, la complexité des motifs – contribuait à son allure unique. C’est à cette époque que le terme cantonais "cheongsam" (長衫, littéralement "robe longue") gagna en popularité, particulièrement dans les milieux occidentalisés et à Hong Kong, tandis que "qipao" resta le terme mandarin prédominant en Chine continentale.
3. L’Âge d’Or et la Diffusion Internationale
Les années 1930 et 1940 marquent l’apogée du cheongsam à Shanghai et sa diffusion au-delà des frontières chinoises. Les styles évoluèrent rapidement : la silhouette devint encore plus ajustée dans les années 1930, avec des épaules plus marquées et des fentes plus hautes. Dans les années 1940, les motifs floraux et géométriques s’épanouirent, et l’usage de fermetures à glissière, une innovation occidentale, contribua à la fluidité de la silhouette.
Avec l’arrivée au pouvoir du Parti Communiste en 1949 et la fondation de la République Populaire de Chine, de nombreuses familles de Shanghai et du continent émigrèrent à Hong Kong. La colonie britannique devint alors le nouveau bastion du cheongsam. Tandis que sur le continent, la mode se tournait vers des tenues plus utilitaires et uniformes, le cheongsam continua de prospérer à Hong Kong, conservant son statut de vêtement élégant et formel. Les couturiers de Hong Kong perpétuèrent les techniques traditionnelles tout en introduisant de nouvelles variations, adaptant le cheongsam aux styles des années 1950 et 1960, parfois avec des jupes évasées ou des motifs plus audacieux.
Le cheongsam commença également à gagner en visibilité sur la scène internationale, notamment à travers le cinéma hollywoodien et les stars de l’époque. Des films comme "Le Monde de Suzie Wong" (1960), bien que souvent critiqués pour leur exotisme stéréotypé, contribuèrent à populariser l’image du cheongsam auprès du public occidental, l’associant à la femme asiatique séduisante et mystérieuse.
4. Déclin, Résurgence et Symbolisme Culturel
Malgré sa popularité en dehors de la Chine continentale, le cheongsam connut un déclin drastique dans son pays d’origine après 1949. Associé à la bourgeoisie, à la décadence capitaliste et aux "vieilles traditions", il fut largement mis de côté au profit de tenues plus simples et uniformes, comme l’uniforme Mao. Pendant la Révolution Culturelle (1966-1976), le port du cheongsam était même considéré comme une "tendance réactionnaire" et pouvait entraîner des persécutions.
Cependant, à partir des années 1980, avec l’ouverture de la Chine et les réformes économiques, le cheongsam commença lentement à réapparaître, d’abord comme robe de mariée ou tenue de gala, puis progressivement comme vêtement de cérémonie et symbole d’identité culturelle. La diaspora chinoise et Hong Kong avaient joué un rôle crucial dans sa préservation et sa transmission.
Aujourd’hui, le cheongsam est reconnu comme un élément clé du patrimoine culturel chinois. Il est souvent porté lors d’événements officiels, de mariages, de concours de beauté et par les hôtesses de l’air de certaines compagnies aériennes chinoises. Sa résurgence témoigne d’un renouveau de la fierté culturelle et d’une volonté de concilier tradition et modernité. Il est devenu un vêtement qui incarne la grâce, la sophistication et la richesse de l’histoire chinoise, tout en étant adapté aux sensibilités contemporaines.
5. Le Cheongsam Aujourd’hui : Patrimoine et Innovation
Dans le monde de la mode du 21e siècle, le cheongsam continue d’évoluer, se réinventant tout en honorant ses racines. Les designers chinois et internationaux s’inspirent de sa silhouette iconique pour créer des collections qui fusionnent l’esthétique traditionnelle avec des tendances modernes. On voit des cheongsams réalisés dans des tissus non conventionnels comme le denim ou le cuir, avec des coupes plus décontractées, des cols variés, des fentes réinventées ou des motifs abstraits. Il est devenu un caméléon de la mode, capable de s’adapter à diverses occasions, du quotidien à la haute couture.
Le cheongsam n’est plus seulement une robe; il est une source d’inspiration pour des jupes, des vestes, des hauts et d’autres pièces de vêtements qui intègrent des éléments de son design. Des célébrités et des figures publiques continuent de le porter, renforçant son statut d’icône mondiale. Il est un témoignage de la capacité d’une tenue à transcender son contexte originel et à acquérir une signification universelle.
Pour ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur cette tenue emblématique, des plateformes comme Cheongsamology.com offrent des ressources précieuses et détaillées sur son histoire, ses variations stylistiques et son importance culturelle. Ces initiatives contribuent à préserver la mémoire et l’artisanat liés au cheongsam, tout en explorant ses multiples facettes dans le monde contemporain.
Le tableau suivant illustre l’évolution des caractéristiques du cheongsam à travers les époques :
Période / Style | Silhouette et Coupe | Col | Manches | Fentes | Matériaux et Motifs |
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Qipao Mandchou | Ample, droite, unisexe | Bas ou inexistant | Amples, longues | Latérales, profondes (équitation) | Soie, coton, broderies lourdes, motifs impériaux |
Shanghai (1920s) | Légèrement ajustée, féminine | Montant, boutonné | Courtes, mi-longues, sans | Modérées, début des fentes latérales | Soie, satin, motifs traditionnels et art déco |
Shanghai (1930s) | Très ajustée, cintrée | Montant, variable | Courtes, cap, sans | Hautes, élégantes, une ou deux côtés | Soie, brocart, velours, imprimés géométriques, floraux |
Hong Kong (1950s-60s) | Ajustée, parfois avec jupe évasée | Montant, plus raide | Courtes, souvent cintrées | Modérées, ajustées, pratiques | Soie, coton, synthétiques, couleurs vives, motifs floraux |
Contemporain (Post-2000) | Variable (ajustée, décontractée, fusion) | Divers (mandarin, rond, bateau) | Variées (longues, courtes, sans, évasées) | Variées (hautes, basses, multiples, absentes) | Diversifiés (soie, dentelle, denim, cuir, synthétiques), motifs innovants |
Le cheongsam, ou qipao, a parcouru un chemin remarquable, des steppes mandchoues aux podiums internationaux. Il s’est transformé d’un vêtement pratique en une déclaration de mode audacieuse, puis en un symbole de résilience culturelle et d’élégance intemporelle. Son histoire est celle de l’adaptation, de l’innovation et de la persistance, reflétant les dynamiques complexes de la Chine moderne. Aujourd’hui, il continue de captiver l’imagination, prouvant que la tradition peut non seulement survivre, mais aussi prospérer et inspirer dans un monde en constante évolution, consolidant sa place comme l’une des robes les plus emblématiques de l’histoire de la mode mondiale.